CHAPITRE 1 - L'ANXIÉTÉ DU CHANGEMENT

Article 3
De héros à zéro !

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J’ai connu Lise à l’université, une autre femme monoparentale qui à l’époque, a repris les études universitaires comme moi. De notre domaine en gestion des ressources humaines, nous avons développé chacune nos spécialités. Lise est devenue généraliste et a orienté son expertise plus pointue vers la gestion préventive des conflits, et moi vers les projets de transformations technologiques et la gestion du changement.

Deux idéalistes persévérantes qui recherchons la « paix organisationnelle »
et la « pleine conscience » de la place de l’humain dans le monde du travail.

L’automne dernier elle donne mon nom à une firme experte en ressources humaines pour proposer ma candidature chez un de leurs clients. Je ne peux qu’être reconnaissante, mais je me dois d’avouer qu’il y a anguille sous roche; je n’ai plus envie de faire de la consultation en gestion comme je le fais depuis plus de vingt ans maintenant…

Je ressens l’immense besoin de briser le moule de l’inconscience dans
les façons de faire qui brûlent la santé des gens dans ce genre de projet.

Mais comme l’adage le dit si bien : « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ! »

Étant moi-même en transition de carrière vers l’écriture de livres, les conférences, les séminaires et les ateliers de transformation (qui me donnent plus de satisfaction personnelle et une impression de contribuer davantage), j’expérimente personnellement les effets du changement. Tel un cordonnier mal chaussé, en tant qu’experte en gestion du changement, je dois gérer le processus de transformation de ma propre entreprise tout en donnant un bon service à mon nouveau client. Ce qui risque d’être laborieux par moment...

Dans la transition de notre propre entreprise et en relation avec nos clients, on doit faire preuve de patience, de courage, de détermination mais surtout d’indulgence…

Dissonance cognitive[1]

Avant même d’accepter d’aller en entrevue, j’appréhende la suite, comme si, malgré le fait que j’aie tout le bagage nécessaire pour soutenir ce client dans son défi, une peur inconsciente se manifeste en moi.

La première question que la méchante consultante me pose :
Qui peut bien avoir envie de vivre l’expérience bipolaire du héros au zéro,
comme tu l’as trop souvent vécue en gestion du changement ?

Je trouve le moyen de me justifier… Parce que je dois vous avouer, en toute humilité, que mes tentatives de missionnaire pour humaniser les projets touchant une bonne partie de l’organisation en transformation n’ont pas toujours été simples. Depuis des années, malgré mon efficacité en mandat, je sens monter un choc de valeurs.

Je sens que beaucoup de gens ressentent ce choc dans leur propre profession. Où sont les valeurs d’avant ? Les valeurs plus holistiques et conscientes que l’on tente d’intégrer dans nos styles de vie ?

Pour vous mettre en contexte, lorsqu’un client fait appel à un expert en gestion du changement c’est qu’il est dans une de ces situations :

  • Il est en épisode de crise ou de panique parce qu’il ne comprend pas les soudaines résistances, les conflits, les départs précipités, l’irritabilité, l’épuisement et les comportements étranges de certains humains autour d’eux. Et ce phénomène peut arriver à tout instant du projet, même avant qu’il débute !
  • Le projet retarde, les coûts augmentent et on s’aperçoit que peut-être, ce serait la faute des humains. (Ben oui, ils ont le dos large ceux-là!)
  • L’intégrateur de la nouvelle technologie, en fait, les experts externes en informatique, insiste pour avoir une police d’assurance, un « leader de changement » préférablement un potentiel bouc émissaire qui s’occupera de faire adopter ce qu’ils tentent de mettre au monde.
  • Parfois, certains membres de la haute direction ont déjà souffert dans un autre projet et n’y tiennent plus. Ils insistent pour un accompagnement humain en bonne et due forme.
  • Le service des ressources humaines est débordé par les embauches et les remplacements provoqués par les besoins du projet. Il n’arrive plus à fournir et commence à sérieusement faire de l’anxiété pour les impacts du projet.
  • Les mandataires du projet l’exigent comme clé essentielle à la réussite, parce que c’est écrit dans les mémoires de multiples projets technologiques que sans gestion du changement, environ 70% des projets prendront plus de temps et coûteront jusqu’à deux et trois fois plus chers.
  • Et j’en passe…

Entre la machine et l’humaine

Oh, humblement attention. (Alerte de potentielle arrogance…) Après des dizaines de clients en consultation, je crois bien détenir une grande partie des compétences et qualités requises pour débarquer dans tout environnement et relever un projet chaotique peu importe ce que sont les raisons ou motivations du client.

Pour faire cette profession de « consultante en gestion du changement », il faut une touche d’esprit aventurier un peu masochiste (je
vous le jure) et aussi, être flexible, adaptable, pragmatique, déterminé, analytique, bienveillant, communicateur, compréhensif, médiateur, catalyseur, orienté résultat, capable de transformer l’intangible en tangible…

Département des miracles, bonjour ?

Vous avez le numéro ?

Un rôle de contortionniste trapéziste cracheuse de feu au Cirque du Soleil ?

On m’appelle souvent "la machine". J’essaie encore de comprendre pourquoi. Ça doit être la manifestation de la méchante consultante! Mais moi mon défaut avoué, s’il en est un, est d’avoir le malheur d’être à la fois trop bienveillante et trop efficace ! Paradoxe.

À part les contrats de courte durée, souvent, les raisons provoquant des fins de projet devancées sont liées au fait que les gens se sentent mieux, et que mes interventions sont tellement efficaces qu’une personne au pouvoir se sent soit satisfaite ou au contraire, se sent menacée et me remercie chaleureusement et surtout, très discrètement… Oui, ça aussi ça arrive.

Donc des problèmes résolus, des employés qui se sentent bien et des résultats concrets, ça ne devrait pas être une bonne nouvelle tout le temps ?

Non, pas toujours. Surtout pas quand on parle de changement qui dérange les platebandes du poulailler, surtout ces coins des poulets en compétition pour devenir le coq de la bassecour.

Vous allez dire, mais depuis quand le fait de vouloir le bien des gens et avoir des résultats concluants peut s’avérer un problème ?

Je sais, ça semble tellement incongru mais malheureusement, on dirait que de favoriser le respect du rythme, de la santé et l’authenticité des gens dans le milieu du travail est encore tabou.

Productivité, productivité, productivité !

C’est le mot d’ordre dans la routine d’affaires. En tout cas, moi la méchante consultante, ça fait mon affaire, c’est tout ce que je veux des résultats !!!

 

Imaginez en période de transformation de l’entreprise…

Dans bien des endroits, on croit à tort que transformation égale sacrifices humains, que les bois morts seront éliminés, que les récalcitrants mis au pas, que les dociles suivront sans broncher, que les motivés tireront les autres par le haut, enfin, que le ménage se fera par attrition naturelle dans l’organisation et que par enchantement, l’organisation sera toute neuve avec des gens heureux et productif…

Mais tout changement est inconfortable pendant une certaine période. Il rajoute une couche de stress pouvant avoir de graves conséquences, c’est inévitable. Si en plus, même inconsciemment, on « maltraite » les gens en place…

On s’aligne sur un désastre culturel qui créera une
onde de choc pour près d’une décennie, et encore.

Genre de conclusions que ni les dirigeants, ni moi la
méchante consultante aimons entendre parce que ça nous ralentit!

Mon cœur serre à penser à ces gens qui quittent avec un sentiment de désuétude et d’échec gonflé par le rejet de leur organisation. Nous sommes bien plus qu'un employé avec des compétences, qu'un numéro, nous sommes un humain...

Bienvenue encore une fois dans le monde complexe, tellement inconfortable et trop souvent bien incohérent de la gestion du changement.

En passant le zéro, ce n’est pas mon estime de moi, c’est le nombre d’heures semaine qu’il me reste chez le client si je fais un trop bon (ou trop menaçant) travail ! Pas toujours rose d’être une « méchante consultante ». Sourire. La grande différence pour moi par contre, c’est que je ne reste pas longtemps dans une entreprise… PAR CHOIX.

[1] La dissonance cognitive est la simultanéité de cognitions (idées, pensées) qui entraînent un inconfort mental en raison de leur caractère inconciliable.

Que faire ? Vous avez des idées à nous partager ?

  • N’y a-t-il pas une approche plus humaine pour faire évoluer les gens, pour les aider à s’approprier les changements tout en gardant leur dignité ?
  • Est-ce possible de développer à l’interne, chez tous et chacun, de nouvelles connaissances et compétences pour mieux s’adapter et accompagner les collaborateurs dans les grands changements ?
  • Est-ce possible d’accompagner aussi ceux qui devront quitter le bateau parce que dépassés, incapables de suivre mais tout de même, de loyaux humains qui ont parfois des dizaines d’années au service d’une entreprise ?

Vos réflexions sont les bienvenues !