Article 7
Début d'analyse dans la tempête...

Mon premier rendez-vous officiel avec les membres de la direction est lundi matin à 9h30. Mais, Oh misère, le sort s’acharne sur moi avec des plus grosses tempêtes de neige de l’année ! Ou est-ce un moyen de l’univers de me passer le message de ralentir la cadence ?
Un banc de neige de 75 centimètres derrière ma voiture me bloque la sortie. Je ne trouve pas la pelle nulle part alors dans mon désespoir d’arriver à l’heure à mon premier rendez-vous de la semaine, je me promène frénétiquement dans ma rue.
Mon voisin, avec ses deux enfants jouant dans la neige fraîche, (à qui je n’ai jamais eu l’occasion de parler depuis leur arrivée il y a trois ou quatre ans) est en train de pelleter pour sortir son auto de son impasse. Je lui demande désespérément de l’aide, qu’il accepte généreusement. Rien comme une tempête pour bâtir des liens sociaux.
Je réussis donc à sortir de mon stationnement et, arrivée sur le boulevard enneigé, ma voiture commence à faire un slalom géant. Je passe à un fil de provoquer un carambolage avec un autobus et une camionnette ! Je reviens chez moi traumatisée et reconnaissante d’être en un morceau et j’écris au CFO qui accepte de faire notre entrevue au téléphone. L’ayant déjà rencontré, je me dis que c’est à demi mal. Quel malaise que de débuter un mandat avec un contretemps, pas très professionnel…
Un peu gênée de mon inconvenance, je demande à mes organisatrices de reporter mes autres rendez-vous mais aussi, de s’assurer que la dernière personne que je rencontre, sera le président. La méchante consultante en moi n’est vraiment pas fière de ce coup-là.
Aussi, dans la hâte d’obtenir leur date de début de projet ERP, le premier atelier a été prévu le vendredi de la même semaine… Je dois avouer que je me sens étouffée, surchargée, bousculée, sentiments que je tente de gérer constructivement pour mon client.
Disons que je comprends facilement l'impatience de mon client et suis empathique avec eux. Mais comment les soutenir si je ne casse pas le rythme effréné dans lequel ils semblent prisonniers ?
Et dire que le projet n’est même pas commencé ! Si ça continue comme ça, ce sera impossible pour moi, mais surtout pour eux, de bien démarrer les choses.
Ce dont ils ont besoin et non ce qu’ils désirent…
Dans le chaos accéléré, je dois respecter ce que dicte mon expertise, être courageuse et faire ce qu’ils ont besoin et non ce qu’ils demandent. La méchante consultante qui prend du galon ici !
Armée de munitions acquises tout au long de mes expériences passées ayant eu du succès et des excellentes leçons apprises de mes erreurs magistrales (parce qu’il faut bien tout rendre constructif), je démarre avec une approche rigoureuse et systématique.
Je passe le même questionnaire à tous les membres du comité de direction de l’entreprise afin de bien saisir le contexte actuel de leur fonction et d’évaluer cinq dimensions précises :
- Une vision claire et partagée de la transformation, incluant le pourquoi et les bénéfices attendus,
- Une gouvernance du programme forte et crédible, incluant l’efficience, la participation et les mécanismes décisionnels,
- Une approche d’implantation robuste et uniforme, qui intègre les initiatives globales et une rigueur de gestion,
- Une équipe de projet représentative et dédiée, incluant les gens des opérations avec, pour tous, des rôles et responsabilités bien définis,
- Des parties prenantes engagées et mobilisées, un processus de communication efficace et une structure de support.
Je démarre très rationnelle, j’en conviens (désolée la machine est toujours en marche), mais au-delà de ces sujets austères, le but est de lire les individus et décoder leurs perceptions et leurs préoccupations sur ce qui s’en vient. J’avoue aussi, que de démarrer les rencontres de cette façon, démontre aussi ma crédibilité en tant que consultante. Ha ces méchantes consultantes !
Ce n’est pas pour impressionner, paraître arrogante mais pour être prise au sérieux. Parce que j’ai l’impression (peut-être à tort) que si je démontre mon côté créatif dès le départ, les gens ne peuvent imaginer que je valorise autant la rigueur… En fait je crois que je suis victime de mon propre piège, un peu comme de choisir ce qui vient avant : la poule ou l’œuf ?
Parce que la rigueur et la créativité, dans l’esprit des gens sont des antagonistes, mais mises ensemble, n’offrent-elles pas une possibilité de puissance surprenante ? On en reparlera !

À la rencontre de mon mandataire
C’est le CFO qui a vendu le projet au président. Il s’est servi de scénarios pessimistes, d’arguments de désuétude totale des technologies vieilles de 25 ans et des risques critiques pour l’entreprise si une panne majeure se concrétisait.
C’est un homme réaliste et comme un bon chef de finances, il a aussi ce souci de rigueur et de bien faire les choses. J’ai l’impression que lorsqu’il n’arrive pas à faire valoir son point, il a tendance à sonner l’alerte, à dramatiser avec ces scénarios des pires situations qui pourraient arriver. J’avoue prendre recours à ce mécanisme de temps à autres moi aussi. Il faut bien sortir les gens du déni de temps à autre !
Ça me rappelle lorsque j’ai expérimenté ma première gestion de projet au début de ma carrière dans une multinationale. C’était vers la fin des années 90. En fait, je contrôlais l’avancement de multiples projets pour le fameux bogue de l’an 2000. Une quarantaine de chefs de projet se rapportaient à notre bureau de projets (PMO) couvrant ainsi plus de 180 entités à travers le monde. Lorsque certaines divisions n’emboitaient pas le pas dans les activités exigées par le siège social international, je sortais les scénarios de catastrophes pour les faire adhérer. Ça fonctionnait assez bien. Sourire satisfait
Maintenant, je sens que cette vibration « d’urgence de faire ce projet maintenant » est bien ressentie dans l’organisation. Par contre, le CFO est sous l’impression que le président n’adhère pas suffisamment pour encourager le projet comme il se doit et il m’avoue sentir qu’il n’arrive pas mettre le doigt sur le bon déclencheur.
Son évaluation du degré de préparation de l’entreprise au projet ERP suggère que tout ce qui a déjà été fait touchant la vision, la gouvernance et l’approche d’implantation, doit être renforcé. En fait, à son avis, tout doit être carrément mis en place plus solidement.
Le retour sur investissement du projet n’est pas bien compris à ce moment-ci, à part le fait que c’est un « mal nécessaire » afin d’éviter le pire cauchemar informatique. Il sent qu’il faut creuser pour outrepasser les limites de la perception actuelle des bénéfices du projet.
Le CFO me confie qu’il trouve ça très difficile parfois de porter ce projet à bout de bras, surtout lorsqu’il ne se sent pas entièrement supporté par son patron.
Il me dit aussi, un peu à la blague : « J’ai dit au président, si j’ai une offre dans la porte, je crois que j’ai envie de la prendre ! »
Bon, investi comme il l’est, je n’y crois pas trop… ça indique tout de même que les choses doivent s’améliorer et ce, rapidement !
À la rencontre du contrôleur, membre de la cellule de résistance
La rencontre avec le contrôleur sera plus intense. Je perçois chez cette personne un sentiment d’exclusion partielle et d’incompréhension de l’approche de projet.
Il me demande : "Pourquoi l’étude pour le design du système ERP ne démarre pas par la compréhension de la charte comptable ?"
Pour lui, la comptabilité est le point focal qui fait tenir l’entreprise debout avec toutes ses complexités. Tout devrait partir de là mais étrangement, le nouveau ERP imposera ses processus.
Je ressens beaucoup de frustration de la part de cette personne (qui a d’ailleurs été identifiée sur la liste des cellules de résistance pressenties).
Il m’explique qu’il a l’impression d’être tassé parce qu’un analyste plus expérimenté dans l’implantation du nouveau système sera son supérieur dans le projet. Une insulte ! Après 25 ans de loyaux services et à trois ans de la retraite, il me dit bien voir le jeu qui se joue devant lui. Il se demande s’il aura encore un emploi après l’implantation et me partage avec assurance que si requis, il ne se laissera pas faire ! Alerte au jeu de pouvoir potentiel…
Son évaluation du degré de préparation au démarrage du projet est très pessimiste, probablement surtout lié au fait qu’il ne se sent pas très impliqué dans les décisions.
Je suis consciente que certaines personnes sont susceptibles de moins bien réagir aux changements, surtout si ça les affecte personnellement et ce, de plusieurs façons durant le projet et après le projet. Malgré leur attitude rébarbative à prime abord, j’ai beaucoup d’empathie pour ces loyaux employés dont on fait chavirer le monde avec ces grandes initiatives.
Vous souvenez-vous de mon entrevue initiale avec le client ?
Il n’y a pas de plan de relève dans cette entreprise !
On se retrouve donc non seulement à gérer les problématiques liées à l’implantation du projet technologique, mais aussi à toutes les conséquences liées au fait qu’on n’a pas prévu les remplacements des postes clés dans des cas de départs (parce qu'assignés sur le projet, ou pour retraite, maladie, ou autre).
Tout ce qu’un employeur repousse sous le tapis depuis des années,
remonte en poussière allergène lorsqu’il se met à brasser la baraque !
Et vous de votre côté ?
- Est-ce que certains projets dans votre entreprise vous ont donné le goût de quitter ?
- Honnêtement, au début d'un grand projet, avez-vous eu des pulsions pour vous battre un peu ou pour ramer contre le courant?
- Quels genres d'arguments d'obstruction ou de résistance vous viennent en tête lorsqu'un grand projet ambitieux démarre ?
- Ou au contraire, êtes-vous du genre à sauter à pieds joints pour faire partie de l'équipe de projet ?
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